On m’a toujours dit que passé un certain âge on ne grandissait plus. Mais plus dommage surtout, qu’en atteignant ce qu’on appelle un grand âge, on se mettait au contraire à rapetisser, à se tasser, comme si petit à petit on se préparait déjà à entrer sous terre, à disparaitre. C’est gai. Prudents, nous nous mettons alors à ralentir le rythme de notre existence, à marcher plus lentement, à veiller sur nous-mêmes, une chute pourrait nous être fatale, nous évitons de faire travailler nos articulations (à quoi bon ?) et nous respirons à peine… on ne sait jamais….
Avec le temps nous nous sommes construits, et peu nous importe de savoir si c’est de la bonne manière, « ça tient », c’est tout ce qui compte.
Tout cela est sans connaitre l’expérience du Rolfing qui m’a été donnée de faire, et je dois le reconnaitre, c’est chamboulant ! On a l’impression d’un coup de pousser les volets en grand, d’élargir le paysage, de se sentir plus que vivant, on s’amuse à défier la gravité, on respire comme si la capacité de nos poumons était sans limite et on habite un corps qui parait avoir grandi de quelques centimètres ! L’expression est choisie : C’est géant !
Personnellement j’en suis sortie renforcée, réparée d’une fracture de la malléole qui n’en finissait pas de me faire boiter, d’abord de l’articulation endommagée puis de l’autre à force de compenser. Une expérience qui m’a aussi laissé l’impression d’avoir modifié ma façon de marcher et de me positionner au monde…. Comme je l’ai dit un jour à Arnaud (Lelièvre) le praticien Rolfeur qui m’a initiée « c’est moi qui fais tourner la terre avec mes pieds, ce n’est plus elle qui me fait tourner ! » Rien que ça. Le Rolfing donnerait-il « la baraka » comme on dit ? Je serais tentée de répondre oui. Comme l’explique très bien France Hatt-Arnold dans son ouvrage sur la méthode d’Ida Rolf « les Rolfeurs font de leur métier la remise en place de l’organisme dans le champ de gravitation afin qu’il retrouve aisance, fluidité, décompression, souplesse, ancrage, stabilité et liberté expressive ». Je suis heureuse de pouvoir en témoigner.
Quand j’ai débarqué dans le cabinet d’Arnaud Lelièvre je ne connaissais rien au Rolfing et pas grand-chose non plus à d’autres méthodes dites de relaxation ou de respiration (yoga par exemple).
Novice, je suis là par curiosité, et parce que ni les séances (pourtant nombreuses) de kinésithérapie qui m’ont été prescrites suite à la fracture de la malléole que j’ai évoquée, ni celles d’ostéopathie que j’y ai ajoutées ne sont venues à bout de ma boiterie. Cependant la vie que je mène m’oblige à marcher beaucoup, non seulement par goût des promenades mais parce que j’ai un chien, des équidés, des animaux qu’il faut sortir ou mener au pré. Et mieux vaut être d’aplomb sur ses deux pieds.
Si cette expérience est « chamboulante » c’est parce qu’elle nous amène à repenser tout notre corps, à le considérer ai-je envie de dire, comme s’il était courant que nous ne l’envisagions que comme une sorte d’automate que nous occupons, qui répond de façon mécanique aux gestes que nous faisons : nous lever, nous asseoir, tendre le bras, voire nager, courir ou grimper aux arbres… en fonction de notre âge et de nos aptitudes physiques il sait tout faire, mais savons-nous qui il est vraiment et l’habitons-nous comme nous le devrions pour être en harmonie avec lui-même ?
Le Rolfing m’a donné l’impression d’être au corps ce que la psychanalyse est à l’esprit : une remise en question de nous-mêmes, de notre façon de fonctionner. Voilà pourquoi une ou deux séances peuvent suffire à faire du bien, mais si dix ans sont parfois nécessaires en analyse pour parvenir à être vraiment soi (car cela prend du temps de se défaire d’un vécu qui au final ne rend pas heureux), il en est de même pour notre corps, et dix séances de Rolfing constituent le parcours nécessaire afin que le patient soit pareillement à même d’intégrer tout le processus de dénouement qui est proposée à son corps.
Notre corps, ce drôle de témoin de nos émotions qui nous fait nous asseoir ou tomber dans les pommes à l’annonce d’une mauvaise nouvelle. Qui nous fait prétendre avoir les jambes coupées. Qui nous amène à croire dans un moment de panique qu’on ne peut plus respirer.
Et si on se posait ? Si on s’écoutait ? Si on se laissait « décoller » au sens propre comme au sens figuré.
Car on vit dans une enveloppe. Il parait que ça s’appelle les fascias. Que c’est un tissu qui nous entoure, relie nos muscles, nos os et nos viscères, et que c’est en le manipulant que notre corps va retrouver à la fois souplesse et aisance. Je l’ai éprouvé dès la première séance. En fait, sans le savoir, on est à l’intérieur de nous comme tout serré dans une combinaison de plongée, et grâce au toucher spécifique du praticien qui va au début commencer par l’exercer sur une moitié de notre cage thoracique, on s’aperçoit très vite qu’on n’est beaucoup moins à l’étroit, qu’on respire bien mieux du côté qu’il a travaillé que de l’autre. On commence à prendre conscience de sa respiration et de l’espace qu’on gagne.
Toujours allongé, on se prête bien évidemment à être agrandi de l’autre côté !
Fort de sa cage thoracique augmentée, c’est curieux comme on est déjà saisi par l’impression d’avoir grandi, on est de nouveau invité à marcher.
Parce qu’on marche beaucoup dans le Rolfing…. On dirait que ça sert de test à ce qui progressivement se modifie en nous. Alors, au lieu de marcher machinalement comme on avait l’habitude de le faire, on va peu à peu se mettre à « conscientiser la chose » en éprouvant au ralenti tout ce qui se passe : le rapport de nos pieds avec la terre, notre posture, et au travers de gammes (balancements progressifs d’avant en arrière) de notre rapport à la gravité : Jusqu’où peut-on aller dans notre inclinaison, à présent que nous sentons nos pieds bien plantés sur terre. Dans quel seuil de confiance sommes-nous alors que nous sentons que plus nous nous éloignons de la verticalité plus il est difficile de tenir. Et là, on va aussi commencer d’éprouver que ce ne sont pas nos muscles « habituels » dits toniques qui vont nous permettre de tenir, mais une puissance que nous découvrons posséder grâce à nos muscles de posture. Parce que tout est dans la posture ! Et si nous n’exploitons pas nos ressources, force est de constater qu’elles se dégradent, elles se figent, et finissent par nous rendre frileux et timides dans notre façon de nous tenir au monde.
Moi qui apprécie tant la marche et la nature, je me suis sentie au sortir de cette première séance déjà regonflée, tentée d’expérimenter différentes façons de marcher (les pieds très légèrement plus écartés par exemple) appréciant l’impression d’un nouvel équilibre, d’un nouveau rapport à la terre.
Cela tombait bien parce que c’était ce qu’il me serait donné d’affiner à la deuxième séance. Après avoir libéré mes membres inférieurs de cette enveloppe que je compare à une combinaison de plongée, Arnaud m’a invitée à éprouver comme mes pieds étaient plus présents au sol, à augmenter le ressentir. On s’essaie à une démarche féline, (dite de panthère) debout et même à quatre pattes parce qu’on commence à mesurer la puissance dont on est doté. Et la finesse de ce qui se produit en nous à présent qu’on est éveillé à y être sensible.
Cette force, que debout nous allons nous entrainer à exploiter en posant un pied après l’autre sur ce qui est nommé un tuyau magique (un morceau de tuyau enveloppé de mousse qui s’adapte à la plante de nos pieds) nous allons l’utiliser debout à la communiquer à notre colonne vertébrale en nous étirant vers le haut.
Les séances suivantes vont être une progression et un affinement de ce travail sur les fascias qui change la forme du corps et une rééducation par le mouvement pour une autogestion de l’organisation posturale. D’abord en latéralité (troisième séance). Sur l’intérieur des cuisses et afin de délier le bassin (quatrième) ; Puis sur le viscéral, nos organes, qui vont être contents eux aussi de retrouver de la place (cinquième) et focus sur le sacrum (sixième). Enfin à la septième, on va poser la tête sur l’édifice ! Et profiter des trois dernières séances pour tout revisiter, éprouver, ressentir.
Si je suis passée peut-être un peu rapidement sur cette partie technique du travail de nos fascias et qui incombe au savoir-faire du praticien, c’est parce que ce qui m’a le plus intéressée, épatée, c’est le résultat. Au point que si le rythme des premières séances était d’une fois par semaine, au bout de la quatrième ou cinquième, j’ai éprouvé l’envie de les espacer davantage afin de profiter plus longtemps des modifications qui s’opéraient en moi avant d’y ajouter de nouvelles.
A chaque fois, la partie du corps « libérée » retrouvait une souplesse qui donnait envie de la savourer. Par exemple, après le travail sur la hanche, je ne parvenais pas une fois debout à rester immobile, tant j’étais démangée par l’envie d’effectuer des mouvements de rotation, proches de ceux qui rappellent les 8 qu’on dessine avec son bassin dans la danse orientale. Je me suis mise à marcher dans la campagne (en ville je n’oserais pas !) en exagérant une allure de déhanchement ; c’est tellement étonnant de se sentir si libre, si souple dans ses mouvements.
Depuis le travail sur le dos, il m’arrive dans mon lit le matin de m’exercer à ces pressions qui permettent d’éprouver une élasticité qu’on ignorait même posséder. Je me remets dans les conditions dans lesquelles pour explorer certains de mes sens, on m’invitait les yeux fermés à me sentir flotter dans un lac, ou bercée par des vagues.
En diverses occasions, je me suis aperçue de combien il était curieux de ne plus rien faire en force. Mais de savoir où trouver celle-ci sans fatiguer ses muscles.
Et enfin mon pied ! Celui qui me faisait boiter… Oui, j’avais certainement adopté, comme je crois nous le faisons tous quand une partie de notre corps a été endommagée, des conditions de sécurité. Or là, par des mouvements de bascule, je m’aperçois avoir retrouvé confiance, découvrir que mon articulation a retrouvé de sa souplesse : je marche sans boiter, je « lâche », je propose à mon pied de pivoter et ça tient. Le Rolfing c’est l’histoire de comment on redevient vivant.
Le fait d’être « agrandi » de l’intérieur qui nous vient de ce travail de chacun de nos fascias au fil des séances et qui nous amène tout naturellement à modifier notre posture, nous donne (m’a donné en tout cas) ce sentiment de baraka dont j’ai parlé qui fait que spontanément on a le sentiment de se présenter au monde droit et solide, tellement fort que rien ne peut nous arrêter. Certains « exercices » (on parle plutôt d’exploration de mouvements) de retenue par la main du praticien dressée devant nous ou par un élastique, nous font éprouver l’énergie, cette force à laquelle désormais nous sommes sensibles et qui nous propulse vers l’avant aussitôt qu’on n’en est plus empêché.
Le Rolfing est un voyage. On explore ses sens. Il faut prendre son temps. On ne visite pas une ville ou un pays à cent à l’heure. On s’assoit à la terrasse d’un café, on regarde, on s’imprègne de l’ambiance, on hume les odeurs, les saveurs, on éprouve, on ferme les yeux, on ressent. Là c’est pareil. Sauf que lorsqu’on va quitter la chaise de ce café imaginaire à la terrasse duquel on s’est assis, on va se sentir tout grandi, tout dénoué. Disposé à ressentir des joies d’enfant, comme fort de la nouvelle innocence de son corps.
Le Rolfing est une manière savoureuse d’être à la vie : c’est goûteux, joyeux, intemporel. C’est ludique ! Personnellement j’ai traversé ces difficiles périodes de confinement en m’amusant avec mon corps, alternant les moments où j’éprouvais mon grandissement et ma force, avec ceux qui se prêtaient à me faire onduler comme si j’étais faite de pâte à modeler, et je n’ai pas vu le temps passer. Occupée que j’étais par ces expériences à la fois étonnantes et jouissives !
Bon voyage à ceux qui seraient tentés de s’embarquer !